Axiome 122

Axiome 122

Axiome 122.   La sagesse est une science de ce que l’homme pense de l’homme

• Nature de la sagesse : elle nous dit le devenir de l’opinion qu’on se fera de nous. Quelles opinions vais-je produire par mon action, par mes paroles, par mon comportement ? Voilà ce qui est, à première vue, presque impossible à calculer. C’est donc un savoir particulier que celui qui nous permet, malgré tout, d’anticiper quelque peu sur l’effet de notre action. Ce savoir a été appelé « science » jusqu’à la révolution scientifique à partir de laquelle on réservera le mot à l’usage qu’on lui connaît aujourd’hui[1]. La science des « livres sapientiaux » n’a que peu de rapports avec la science de Galilée. De quelle science s’agit-il alors ? De quel genre d’intelligence est-il ici question ? Réponse : il est question de l’intelligence des effets de nos actions parmi nos semblables. Car n’existant que parmi les hommes et par eux, c’est aussi eux qui, par les pensées qu’ils nous consacrent, augmentent ou diminuent notre existence.

Ce qu’ils pensent de nous est en partie la conséquence de ce que nous avons dit ou fait ou, à tout le moins, laissé croire de nous. Voilà donc la science dont il s’agit et qu’on appelle « sagesse » : une science des effets de l’homme sur l’homme, une science de la manière dont l’homme est pensé par l’homme.

Cette science se présente d’une manière qui caractérise ce que, dans ce texte, nous nommons « axiomatique », c’est-à-dire, par de brèves sentences souvent appelées « maximes ». Par exemple, de Pittacos de Mytilène nous reste cette maxime : « N’annonce pas tes projets : en cas d’échec on rira de toi. » Voilà une maxime directe par le ton (voir Axiome 116 : En matière de morale le ton est déterminant), concrète et qui sonne comme un axiome. L’axiomatisation de l’observation à valeur morale est une systématisation d’un processus brièvement aperçu. Mais elle cherche aussi à faire ressortir ce qui est en jeu dans ce passage à la formule typique et significative. La formule (l’axiome) vise à saisir l’essence de ce qui est perçu dans l’évaluation morale. Quelle est la situation concrète qui a inspiré à Pittacos sa maxime ? Impossible de le savoir. Mais nous pouvons le déduire. Et dans cette déduction, il est facile d’imaginer une scène qui aurait parfaitement pu constituer la substance d’un de nos axiomes, dans laquelle un individu aurait à regretter l’annonce qu’il aurait faite de ses intentions. Ce sont ces sentiments qui, en jaillissant en nous, nous exposent, pour ainsi dire, les vérités morales que les maximes ont la vertu de réactiver.

[1] Chez Locke et surtout chez son premier traducteur en français (Pierre Coste), nous trouvons encore l’usage ancien du mot « science » distingué de son usage moderne : voir Essai sur l’entendement humain, 1689.